Le Massif des Maures est-il :
- un socle herygnien enraciné depuis la fin du primaire ou
- une nappe d'hercynien métamorphique déplacée au tertiaire inférieur ?

Par Jean Sougy et René Reneau, de l'APG

Voici le tableau chronostratigraphique simplifié :


En géologie structurale, dans les plaques tectoniques, on distingue essentiellement :

- 1) des « socles » stables et consolidés, anciennes chaînes aux déformations complexes, aux roches métamorphisées en profondeur (c'est-à-dire transformées par la chaleur et la pression) ;
- 2) des « couvertures sédimentaires » ou « bassins », déposés à la surface continentale ou marine de ces socles fortement érodés, couvertures ayant au contraire conservé leurs structures initiales de sédimentation avec d'éventuels fossiles (fig.1).

Socle ou nappe ? Deux interptétations des Maures

Ainsi le bassin de Paris secondaire et tertiaire repose sur le socle hercynien (chaîne formée au Primaire supérieur) qui affleure sur son pourtour en Bretagne, Ardennes, Vosges et Massif central. Au sud-est, de même le Bassin rhodano-provençal repose sur un socle hercynien affleurant dans le Massif Central et dans les massifs cristallins externes des Alpes, Mont Blanc, Pelvoux, Argentera et en principe les Maures.


En effet les Maures (fig.2a) ont toujours été considérées comme un massif hercynien « autochtone », enraciné sur place avant la fin du primaire, sur lequel repose la couverture sédimentaire simple de la « Provence calcaire » débutant, elle, vers 300 Ma (fig.3) au Permien (ou même déjà à la fin du Carbonifère) avec les terrains rouges à vignes de la dépression « permienne » de Toulon à Fréjus et se poursuivant pendant tout le Secondaire (Trias, Jurassique et Crétacé), jusqu'à 65 Ma.
Mais contrairement au bassin de Paris, cette couverture a subi par deux fois les plissements de la chaîne alpine, d'abord au Tertiaire inférieur (Eocène) les plissements d'orientation est-ouest dits pyrénéo-provençaux (ex. : la Sainte-Baume et la Sainte-Victoire) vers 40 Ma, puis les plissements alpins sensu stricto à l'Oligocène vers 30-25 Ma, de Digne à Nice, orientés ceux-là nord-ouest—sud-est. Il en résulte que dans notre région on peut observer intriquées les deux chaînes hercynienne et alpine, comme le long du sentier du littoral, au Pradet par exemple.

C'est ainsi que le massif des Maures a de tout temps été interprété, même par les anciens les plus « allochtonistes », comme un socle recouvert par le tégument permien, base de la couverture, suivi par des calcaires et argiles du Trias moyen et supérieur (235 à 200 Ma) très souple ayant de ce fait servi de couche-savon à la base du reste de la couverture (jurassique et crétacée, 200 à 65 Ma) déplacée en bloc.

D'où des plissements de couverture sur un socle plus son tégument restés, eux, indemnes.

La nouveauté que nous proposons consiste à dire que bien au contraire le massif métamorphique et granitique des Maures est certes un élément de la chaîne hercynienne, mais qu'il est « allochtone » de Sanary à Saint-Aygulf et « flotte » (fig.2b) sur la couverture permienne ou stéphano-permienne, au lieu d'être dessous. Il vient d'ailleurs vraisemblablement du sud, car on ne voit pas comment le faire venir du nord recouvert de sédimentaire (fig.4).

Mais contrairement au bassin de Paris, cette couverture a subi par deux fois les plissements de la chaîne alpine, d'abord au Tertiaire inférieur (Eocène) les plissements d'orientation est-ouest dits pyrénéo-provençaux (ex. : la Sainte-Baume et la Sainte-Victoire) vers 40 Ma, puis les plissements alpins sensu stricto à l'Oligocène vers 30-25 Ma, de Digne à Nice, orientés ceux-là nord-ouest—sud-est. Il en résulte que dans notre région on peut observer intriquées les deux chaînes hercynienne et alpine, comme le long du sentier du littoral, au Pradet par exemple.

 


On peut dès lors dire que ce mouvement de nappe de charriage est au moins postérieur aux terrains permiens rouges de la dépression permienne qu'il recouvre. Nous pensons que le phénomène pourrait concerner au moins une grande partie du massif des Maures, car cette superposition inhabituelle du métamorphique sur le sédimentaire s'observe en de nombreux endroits, quelquefois « au couteau », et plus souvent topographiquement et à quelques mètres près. En bordure ouest (coulée verte de Sauvebonne, Pierrefeu) et nord (de Carnoules à Saint-Aygulf), les terres à vignes permiennes sont le plus souvent en contrebas (vallées du Réal Martin à l'ouest et de l'Argens à l'est). Le métamorphique couvert par la forêt méditerranéenne vient lui au-dessus pour culminer à 780 m à Notre-Dame des Anges et à la Sauvette.

 



Au contact des deux ensembles le matériel métamorphique repose presque horizontalement sur les grès et argiles rouges du Permien, par exemple à la Fouquette, à l'ouest des Mayons (fig.5).
À l'intérieur du massif les failles anciennes est-ouest ont été empruntées par les rivières (Réal Collobrier) qui ont atteint de même le substratum permien sous le métamorphisme. Ceci se voit notamment à Rascas, à 5 km à l'est de Collobrières et dans la vallée des Borrels. Ainsi la surface de charriage sur laquelle a glissé le massif métamorphique apparaît peu déformée, presque horizontale. Interrompu à l'ouest, à Hyères, le phénomène se retrouve dans les « monts de Toulon » ; du Pradet au cap Sicié, mais avec deux différences notables :


 - 1) la surface de charriage, déjà connue et décrite au cap Sicié, a été repliée en structures " antiformes " et " synformes ", ces dernières étant érodées, ce qui fait apparaître en leur cœur les grès permiens sous la nappe métamorphique disparue ;
 - 2) la deuxième est que ici le Trias calcaire peut en plus être impliqué dans le contact.

Quand a pu avoir lieu ce phénomène grandiose ? Au moins après le Trias (après 200 Ma) puisque celui-ci est impliqué, mais c'est une période où l'on ne connaît pas de grandes déformations en Europe. De plus il semble bien que l'absence de continuité de la nappe entre Le Fenouillet, terminaison ouest des Maures, et le Pradet puisse s'expliquer par l'érosion de la nappe au niveau du Mont des Oiseaux et du Paradis dont le Jurassique a lui aussi pu être déformé en nombreuses écailles par le passage de la nappe au-dessus. Dans le domaine des hypothèses et non plus des simples faits, et dans le contexte de la chaîne alpine, elle pourrait être une nappe alpine « provençale » venue du sud vers 40 Ma lorsque la Corse était encore rattachée au continent, avant de s'en séparer vers 18 Ma.

La partie toulonnaise a fait l'objet d'études qui ont abouti à cette idée d'allochtonie dès 1887, lorsque Marcel Bertrand a mis en évidence pour la première fois, au Beausset, en même temps que les Britanniques en Écosse, la notion révolutionnaire de nappe de charriage, qui impliquait des transports tangentiels d'énormes masses sur de grandes distances.

On peut être en admiration devant les travaux de grande précision de Marcel Bertrand, de Philippe Zürcher, d'Émile Haug et de Léon Lutaud, vu les conditions de l'époque.


La galerie d'amenée des eaux usées de Toulon jusqu'au cap Sicié a confirmé que les terrains métamorphiques du cap de ce nom étaient bien posés sur les grès rouges permo-triasiques sédimentaires de la Presqu'île de Saint-Mandrier et de Fabregas.

Dommage que l'école marseillaise ultérieure (Georges Corroy et Claude Gouvernet), au lieu d'étendre l'idée au-delà du Pradet, l'ait au contraire restreinte à une déformation très locale. Lors d'une excursion de l'APG, le 22 février 2003, certains de nos membres ont d'ailleurs pu l'observer entre Fabregas et le cap Sicié. L'interprétation que nous proposons, « allochtoniste » pour tout le massif des Maures, est tellement nouvelle et différente de celle qui a toujours régnée que même nous, avons du mal à y croire !

C
'est pourquoi, avant de proposer un premier texte aux Comptes rendus de l'Académie des Sciences, nous avons voulu nous assurer de ce que pouvaient en penser des géologues particulièrement compétents. Le Professeur Michel Durand-Delga de l'Académie des Sciences, rompu à l'étude des nappes alpines méditerranéennes et le Dr Philippe Rossi, Directeur au BRGM du Service de la Carte Géologique de France (merci pour les cartes offertes à l'association !) ont bien voulu accepter de passer deux journées complètes avec nous, le 11 et 12 octobre, sur le terrain depuis les Mayons, près de Gonfaron, jusqu'au Sicié pour voir de visu nos arguments et ont semblé bien convaincus. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une proposition qui nécessite d'autres recherches pour être validée par la communauté géologique.


I
l était difficile de ne pas être trop technique dans un premier exposé de ce nouveau travail. Il faut lire ce texte en regardant les illustrations. On pourra retenir simplement que le Massif des Maures, caractérisé par son couvert forestier, serait une nappe de terrains anciens qui flotte sur les grès et argiles rouges de la plaine viticole permienne de Toulon à Fréjus.


Parmi les incidences possibles, il y a la compréhension de la position du barrage de Malpasset et celle du tunnel en cours de réalisation de Toulon.

Autres conséquences possibles pour l'APG, un développement de nouvelles excursions géologiques, des exposés notamment aux enseignants du Secondaire de la région et l'organisation d'un colloque scientifique avec discussions sur le terrain. Tout un programme !

La géologie se doit d'être aussi attractive que la biologie, car avant les écrits des hommes, c'est la seule trace qui nous reste du passé. Tout l'art du géologue consiste à réussir à faire parler les pierres et les paysages.

Giens le 23 octobre 2003

Par ailleurs nous avons confirmé samedi 6 mars 2004 nos observations géologiques du côté de Pierrefeu, notamment par un très beau contact anormal dans les vignobles de la Gordonne. Cela confirme les idées de charriage.


Photo : Jean Sougy, 06 mars 2004.

En haut les terrains métamorphiques hercyniens bruns. Le contact de base, peu penté, passe par le milieu de la béquille. On voit des plis d'entraînement probables, indice du déplacement de la masse supérieure mobile sur le Permien sédimentaire de grès roses situé en bas et qui lui est fixe et autochtone. Une zone jaunâtre intermédiaire correspond à une zone de Permien déformé et altéré sous le contact principal. Le tour de la petite colline de métamorphique de Gordonne correspond à ce contact qui contrairement à l'interprétation des cartes géologiques anciennes ou récentes n'est pas une faille verticale mais une « faille plate » (plan peu penté dont l'intersection avec la topographie est circulaire et se confond presque avec une courbe de niveau.


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